D’après les compilations de Mr. Samuel MALONGA
LE KINZONZI – UNE PRATIQUE PUREMENT KONGO DE RESOUDRE UNE CRISE DANS LA TRADITION ANCESTRALE.
Une des pratiques les plus répandues de la culture kongo est sans nul doute le kinzonzi. Hérité de l’ancien Kongo dia Ntotila, les Bakongo ont gardé cette particularité coutumière qui, dans leur façon de résoudre les problèmes semblent être la bonne solution. Le kinzonzi répond à un rite précis est l’un des merveilleux aspects du patrimoine culturel kongo.
Cette exclusivité du peuple kongo fait partie intégrante du kikulu ou kinkulu c’est-à-dire la tradition ancestrale. Etymologiquement le terme kinzonzi vient du verbe zonza (parler, débattre) duquel sont aussi sortis les substantifs nzonzi (conciliateur, facilitateur, maître de paroles) et nzonzolo (façon de parler). Il existe également l’équivalent vova (déclarer) duquel dérive le terme vovi ou mvovi (qui prend la parole au nom de quelqu’un d’autre, d’une assemblée ou d’un groupe d’individus). Dans la famille des mots issus de ce terme se trouvent également les substantifs mpova (parole, dires), mpovi (porte-parole, entremetteur) et mpovolo (manière de s’exprimer). Le verbe moka (bavarder, papoter, causer) a donné naissance au vocable bimoko (causeries).
Par contre, du verbe « ta » (dire, annoncer) est sorti l’adage souvent utilisé pendant le kinzonzi pour justifier l’utilisation d’un maxime lors d’un échange sportif entre deux nzonzi : « Ta ngana, bangula ngana » (explique le proverbe que tu cites). Au regard de l’évolution de la sémantique du kikongo, le mot désignant le facilitateur est différemment employé selon que l’on est dans les deux Congo ou en Angola. Les Congolais des deux rives du fleuve emploient le terme nzonzi, tandis que leurs frères angolais utilisent les synonymes vovi et mpovi.
Même s’ils ne sont pas d’utilisation récente, les mots kinzonzi et nzonzi ne sont pas vraiment d’usage à l’époque des Manikongo. A leur place, d’autres termes sont fréquemment utilisés dans le royaume. A cette époque, la cérémonie du kinzonzi est désignée par le vocable mvuandu (lire mvuándu, à ne pas confondre avec mvùandù qui signifie riche). Il vient du verbe vuanda (s’asseoir) parce que les gens s’asseyaient lors des débats coutumiers. Le palabreur qui est l’actuel nzonzi est appelé mvuala pour sa maîtrise des facettes cérémonielles du palabre. Ayant un sens spirituel très développé, il est celui qui prend la parole dans la cour royale. Il est en même temps l’un des proches collaborateurs du roi. Si mvuala veut bien dire bâton, il désigne aussi la personne qui détient les pleins pouvoirs dans une assemblée.
Une philosophie de la civilisation kongo
Etant une des pratiques de proue de la culture kongo, le kinzonzi s’apparente aux pourparlers ou à la négociation. Mais au-delà des caractéristiques qui marquent la fonction de nzonzi et du rôle que celui-ci joue, le kinzonzi acquiert une dimension beaucoup plus noble. Subséquemment à la conception que les autres peuvent avoir de cette pratique, le kinzonzi ne se limite pas seulement à la simple palabre (de l’espagnol palabra : parole). Chez les Bena Kongo, il s’assimile plus à l’art de traiter les problèmes par la sagesse. Il est l’expression profonde de la philosophie et de la civilisation kongo. Il a ses règles, ses manières, ses convenances, ses rituels, ses codes. Le kinzonzi symbolise l’identité et la spécificité culturelle kongo.
Le nzonzi qui est son animateur est un érudit traditionnel qui utilise un verbe coloré et un langage codé imbu de sagesse. Il manie la rhétorique kongo avec sa verve oratoire (mpovolo, nzonzolo). Il n’est pas un griot mais dans l’exercice de sa tâche, il peut utiliser certains attributs de celui-ci par sa connaissance de la coutume, des mœurs, par sa maîtrise de la tradition et par son expertise. Par conséquent, le kinzonzi est la méthode particulière d’agir du peuple kongo pour résoudre pacifiquement les différends sans que personne ne soit froissée. Il couvre toute leur vie sociale. Toutes les situations touchant à l’existence du peuple kongo comme les fiançailles (zitikila, de zita : nœud), le premier vin (kidimbu), le mariage coutumier (longo, makuela), la facture ou liste des biens à pourvoir à la belle-famille, la dot (nkunku kia longo), le divorce (mvambanu), la maladie (kimbevo), la sorcellerie (kindoki), les conflits familiaux (mpaka, mambu), le deuil (lufua), l’enterrement (nzikulu) sont résolues en communauté pendant des assises coutumières où le nzonzi joue un rôle prépondérant.Le kinzonzi fait l’apologie du verbe et de l’éloquence, de la sagesse et de la bienséance dans le respect des normes préétablies.
La parole par laquelle se transmet le message est utilisée pour convaincre sans frustrer, pour trouver une solution, pour calmer les esprits surchauffés, pour rassurer les âmes attristées ou apeurées, pour dissuader sans heurter les consciences. Le kinzonzi promeut la concorde. A moins d’avoir affaire avec une autre ethnie, il se déroule généralement en kikongo pour garder son originalité. Les négociations du mariage se présentent sous la forme d’une joute oratoire entre les deux nzonzi qui représentent l’un la famille de la fille et l’autre celle du garçon. Ils parlent à tour de rôle. La séance du kinzonzi est le moment-clé de la cérémonie du mariage coutumier au cours de laquelle la tradition manifeste son élégance, sa poésie, le déroulement de la sagesse et surtout la beauté de ce que la coutume peut offrir de meilleur. Beaucoup attendent cet instant avec impatience. L’intervention des deux nzonzi dont chacun défend son camp offre un spectacle inouï. Chacun des protagonistes étale son savoir-faire. L’emploi des proverbes et des paraboles (bingana, zingana, au singulier ngana ou kingana) montre à suffisance sa maturité et sa maîtrise des problèmes ayant trait à la tradition. Outre les dictons qu’il utilise pour assaisonner son plaidoyer, le nzonzi peut détendre l’atmosphère avec l’humour ou galvaniser l’assistance avec des slogans populaires. Lorsque pour captiver son auditoire, il entonne une chanson traditionnelle, celle-ci est aussitôt reprise par l’assemblée. Le nzonzi continue de chanter tout en exhibant des pas de danse rituelle. A ce moment précis, les membres de la famille dont il est le porte-parole (surtout les femmes) le rejoignent en se trémoussant à ses côtés. Certaines dames dans l’assistance poussent des cris de joie tandis que d’autres viennent un à un au pas de danse le congratuler en couvrant son front des billets de banque que l’intéressé met aussitôt dans sa poche. L’argent ainsi reçu est sa seule rétribution pour la prestation fournie.
Le déroulé de la pratique
A la fin de la cérémonie, les deux nzonzi se serrent amicalement la main, le fair-play étant de rigueur. Les pourparlers du mariage coutumier s’apparentent à un spectacle où le verbe est paré de beaux proverbes couplés aux chants et aux danses dans une chorégraphie digne de la tradition kongo. Pour se mettre à l’évidence, plusieurs nzonzi se font remarquer par leur verve oratoire et se transforment en véritables one-man-show. Evoluant dans une société machiste, le kinzonzi est seulement l’affaire des hommes. Il y a même un proverbe qui le rappelle : Nkento katambulanga lukofi ko (la femme ne pourrait reçevoir les civilités coutumières des cérémonies traditionnelles).La passivité étant à éviter, le rôle du nzonzi est de tenir l’assistance en éveil. Pour casser la monotonie des discours, l’improvisation d’un slogan participatif met de la chaleur et de l’ambiance dans les lieux.
La formule la plus employée surtout chez les Manianga est la suivante :
Nzonzi : Rrrr matoko zio!
L’assistance répond : Ziola
Nzonzi : Makwiza
L’assistance : Makwenda
Nzonzi : Bana betele
L’assistance répond : Bana basekole
Nzonzi : O ch
L’assistance : Yabika
Bien souvent, le nzonzi qui doit avoir un certain charisme engage également un dialogue avec l’assistance. Cette participation est précieuse d’autant qu’elle plaît au public.
Dans ce contexte précis, l’usage des maximes conforte ses dires, tonifie son plaidoyer. Mais il y a aussi des dictons qui mettent l’assistance à contribution. Un des proverbes parmi les plus utilisés et dans lequel on associe le public lors des cérémonies de mariage coutumier est le suivant :
Nzonzi : Mfumu na mfumu
L’assistance répond : Nganga na nganga
Nzonzi : Nganga na nganga
L’assistance : Mfumu na mfumu
Explication : Ce dicton fait allusion à la bonne entente qui doit régner entre les deux nzonzi et par ricochet entre les deux familles en présence.Le nzonzi est le terme générique qui désigne le porte-parole d’une famille lors d’une cérémonie traditionnelle. Il doit avoir une bonne connaissance des pratiques de la tradition, du droit coutumier, des rituels et des croyances de la tribu ou famille qu’il représente aussi bien de celle avec qui il va débattre. Dans la société kongo, aucune situation ne peut se régler sans le concours ou l’apport du nzonzi. A proprement parler, il est le garant de toute cérémonie traditionnelle. Son rôle social dans la vie de la tradition est sans équivoque. Il doit avoir la langue facile et la maîtrise des éléments de l’oralité qui sont les attributs de son rôle. Il est tour à tour sociologue, négociateur, avocat coutumier, conseiller, arbitre, pédagogue, diplomate, un homme qui sait garder son calme quelle que soit la situation. Le nzonzi est dans la civilisation kongo l’orateur par excellence, la personne sans laquelle rien ne se fait ou ne se résout. Il est le garant de toutes les cérémonies traditionnelles, le prêtre qui dit la messe.
Ce n’est pas tout le mode qui devient nzonzi
En pays kongo, n’est pas nzonzi qui veut. Avant la cérémonie, la famille lui confie ses désirs. Il va les transmettre à l’autre partie. Chaque fois que le nzonzi prend ou cède la parole, il présente ses respects à son interlocuteur de l’autre camp par un geste révérencieux en tapotant ses mains (lukofi). Cette marque de sympathie est le signe de considération mutuelle entre les deux nzonzi en présence et au-delà entre les deux familles qui parlementent par leur entremise. Si au cours des discussions, son collègue de la partie opposée soulève un point auquel il ne peut donner de suite, il demande immédiatement la suspension des débats afin de consulter la famille dont il est le porte-parole. Ensemble, ils vont se mettre à l’abri des oreilles indiscrètes pour s’échanger des idées. Cette concertation s’appelle mfundu pour les uns et mfongo pour les autres. Une fois terminée, les discussions reprennent là où elles s’étaient arrêtées. Dans certains groupes sociaux constituant l’ethnie kongo, le nzonzi est épaulé par un assistant appelé makunga. Ce futur nzonzi encore en formation lui sert d’aide-mémoire. A la fin de sa prestation de service, sa table est bien garnie en guise de remerciement pour la qualité du travail accompli. Selon la coutume, il ne perçoit pas d’espèces sonnantes et trébuchantes, seulement quelques biens en nature (calebasse de vin de palme au village, casier de bière en ville, bouteille de whisky dans la diaspora européenne). Certaines familles donnent aussi ce que l’on appelle communément tambi za malu (empreintes de pas). C’est un montant forfaitaire alloué au facilitateur en guise de frais de déplacement. Les meilleurs nzonzi sont choyés et recherchés. Ces perles rares ont la capacité de faire basculer la balance de leur côté lors des négociations difficiles.Autre temps autres mœurs. De nos jours, le kinzonzi ne se pratique plus comme autrefois.
Une tradition qui se répand en RDC, et surtout en langue lingala
A quelques exceptions près, à Kinshasa comme dans la diaspora, le lingala a remplacé le kikongo. La pureté de cette cérémonie-phare de la culture kongo a perdu certains de ses aspects les plus fondamentaux dont la langue ou le monnayage de leur service par certains nzonzi. Même si la génération actuelle refuse de se passer de cette pratique séculaire, la non maîtrise du kikongo par les nzonzi marque bien la fin d’une époque. L’inamovible kinzonzi continue toutefois son bonhomme de chemin dans le chef de la tradition et de la culture kongo.
Les jeunes nzonzi qui ont repris le flambeau se sont accommodés à promouvoir et à pérenniser cette merveilleuse pratique léguée par leurs ancêtres. Emboîtant le pas aux Ne-Kongo, le kinzonzi est aujourd’hui repris par plusieurs autres tribus et ethnies congolaises. Cette manière de parlementer a gagné du terrain et est devenue un vrai patrimoine culturel national.
Merci au Dr J. B. qui nous a fait découvrir ce texte
Audio : Kinzonzi ki Tata Mbemba